Romaine Jean
Les adeptes du jeûne n’en démordent pas : il s’agit d’un formidable outil de prévention, notamment des maladies cardiovasculaires. Le docteur Mauro Frigeri, ancien chef de clinique en oncologie aux Hug à Genève, mène actuellement une étude scientifique sur la pratique. Pour lui, le jeûne aura sa place dans la médecine du futur. En attendant, témoignages.
Les 21 jeûneurs que nous rencontrons dans un centre de Bien-Être en Valais, vont passer une semaine à quelque 100 calories par jour, du samedi au vendredi midi. Le rituel est strict, jus de fruits le matin, bouillon clair le soir, pour les sels minéraux. À la fin du jeûne, le vendredi, un repas de légumes cuits sera servi pour une remise en marche en douceur du péristaltisme.
Le premier jour est le plus difficile, puis la faim disparait progressivement et rares sont les personnes qui craquent.
Il est 9.30 autour de la grande table du hall du Centre et les participants vont prendre leur premier « repas » de la journée. Un jus de pomme, gingembre, carottes, passé à l’extracteur pour enlever toute matière solide. Des tisanes d’herbes de la région, à boire à volonté, sont exposées sur une étagère. Il est important de s’hydrater en abondance durant la semaine. « Le premier jour est le plus difficile, puis la faim disparait progressivement et rares sont les personnes qui craquent », nous dit Sophie, naturopathe et responsable du groupe.
La journée est rythmée par des séances d’éveil corporel, ballades quotidiennes, yoga, Pilates, cours Feldenkrais, piscine, conférences sur l’alimentation, pour faire de meilleurs choix, lors du retour au quotidien. « Il est très important de comprendre les attentes de chacun », précise l’une des encadrantes. « C’est une phase de prise de conscience de soi, dans une vie généralement surmenée ».Dans les groupes, les avis sont unanimes. Sylviane, biochimiste, travaille dans la nutrition médicale. « J’ai souvent entendu parler du jeûne, j’ai vu ses effets bénéfiques sur des patients et voulais essayer. Et, je suis bluffée ! C’est une expérience simultanément physique et spirituelle ». Nadia en est à son premier essai. « Je souffre de migraines. J’ai tout tenté, infiltrations, alimentation vivante. Une amie est revenue d’un séjour en France tellement rayonnante que j’ai voulu tenter ».
Il est très important d’être bien accompagnée, car c’est une expérience physique et émotionnell.
Valérie, neuchâteloise, a souffert des mêmes maux et en est guérie. « Je jeûne depuis 10 ans à raison d’une à deux fois par an et j’ai grandement lu sur la question avant de me lancer, car j’avais peur. Il est très important d’être bien accompagnée, parce que c’est une expérience physique et émotionnelle. Il y a un « lâcher prise », qui peut être paniquant ». Vanessa confirme. De plus, elle est américaine et habite Paris : « Je suis déjà venue l’an dernier, en pré-burnout. C’était émotionnellement impressionnant, j’ai souvent pleuré, mais je suis repartie avec un plein d’énergie ».
Jeûner favorise la régénération cellulaire et permet de prévenir les problèmes cardiovasculaires, disent ses adeptes : https://journals.plos.org/plosone/article/file?id=10.1371/journal.pone.0209353&type=printable
Dr. Mauro Frigeri, a été chef de clinique en oncologie, aux hôpitaux universitaires de Genève et pratique la médecine palliative. Il en est convaincu : jeûner favorise la régénération cellulaire et permet de prévenir les problèmes cardiovasculaires, les cancers et les maladies neurodégénératives comme la démence. Il mène en ce moment une étude sur les effets métaboliques du jeûne.
Dr. Frigeri pourquoi cet intérêt pour le jeûne ?
Dr. Mauro Frigeri: Je m’y suis intéressé notamment à travers la demande de mes patients en oncologie pour réduire les effets secondaires de la chimiothérapie. Des essais pratiqués sur les rats par le Dr. Valter Longo ont prouvé que le jeûne a une influence directe sur la longévité et protège des stress toxiques. En fait, les cellules saines s’adaptent au jeûne, celles cancéreuses non. Le corps est fait pour jeûner pas pour s’adapter à un surplus de nourriture. Nous avons beaucoup d’études précliniques sur les bienfaits de la pratique. De plus, nous avons encore peu d’essais randomisés contrôlés. Mais, toutes les études observationnelles vont dans les sens de l’apport positif du jeûne.
Comment menez-vous votre étude ?
Nous travaillons avec un sous-groupe de jeûneurs, qui ont des caractéristiques cliniques qui les mettent à risque de syndrome métabolique, entre autres d’hypertension artérielle et d’une circonférence abdominale au-dessus de la norme. Nous faisons une prise de sang au premier et au dernier jour du jeûne, puis deux mois plus tard. L’objectif primaire est de mesurer la variation du mauvais cholestérol, mais également de la composition corporelle. L’étude a été approuvée par la commission d’éthique cantonale du Valais romand et de Vaud et nous attendons les premiers résultats pour juin 2020.
Pourquoi cette méfiance du monde médical envers le jeûne
L’aspect culturel est certainement très important. Celui du manque d’études rigoureuses également : l’industrie de la pharma finance beaucoup la recherche médicale. Mais, les médecins sont de plus en plus ouverts à la prévention et aux médecines complémentaires, et le jeûne aura sa place dans la médecine du futur.
Photos: Pixabay
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